Pont du Gard
Sauvegarde

V .   Un point faible

 

Les échancrures le long du deuxième niveau
  (antérieures à 1540)

          Dans sa longue existence, le pont du Gard a souvent été et est encore menacé.
            Mais au cours de l'histoire ces menaces trouvaient leur justification dans un contexte économique et pratique.
            On a démoli des parties de l'édifice pour construire, dans un rayon d'une vingtaine de kilomètres, des chapelles, des châteaux, des gués pour traverser le gardon ou des biefs pour alimenter les nombreux moulins à eau.

            Mais l'intervention la plus spectaculaire, la plus osée, est le creusement de 7 échancrures pratiquées à la fois aux bases des piles médianes du deuxième niveau et sur les trois ou quatre assises supérieures des piles du premier niveau.


          Bien que ces échancrures soient colmatées aujourd'hui, il en reste des séquelles   visibles :
              - des fissures verticales sur les piles du deuxième niveau
              - la convexité de l'ouvrage vers l'amont
              - l'inclinaison notable et observable de la partie haute du monument.
      

           Origine de ces échancrures :

            L'historien nîmois, Léon Ménard, les attribue à tort au duc de Rohan pour faire passer son artillerie de la rive gauche à la rive droite, pendant les guerres de religion en 1628, pour porter secours à ses corrélégionnaires de Nîmes. En effet la datation de ces échancrures ne repose que sur des hypothèses. Mais la gravure sur bois suivante, la plus ancienne que l'on connaisse (tirée du Discours historial de Jean Poldo d'Albénas) date de 1540 et montre cette suite d'échancrures.

Remarque : Un parapet protecteur dissimulait les parties basses des échancrures taillées dans l'extrados du 1er niveau
Inexactitudes : - La couverture voûtée du canal, qui n'existe pas en fait : le pont du Gard était couvert avec des dalles, mais l'ensemble de l'aqueduc était voûté.        - Neuf arches sont échancrées au lieu de sept.
                        - Tous les piliers du 1er niveau sont immergés, alors qu'il n'y en a aucun en dehors des périodes de crue.                 - Il n'y a pas d'avant- becs pour protéger les piles du 1er niveau.

            Selon Gratien Charvet (Histoire de Remoulins) et Léon Bascoul (Histoire du château de St-Privat ) : «... le chemin de Beaucaire à Uzès passait par là et l'on sait quelle fut l'importance de la foire de Beaucaire au moyen-âge ... un péage qui, d'abord appartenait au roi fut cédé par celui-ci au moment où, par échange, il acquit la baronnie de Lunel à Raymond Gausselin II d'Uzès contre les droits que ce seigneur pouvait prétendre sur cette baronnie ... En 1322, Bérenger d'Uzès, héritier de Raymond Gausselin, afferma ce péage à un juif converti pour 55 livres, soit 6 204 francs de notre monnaie (1911). Peut-être faut-il faire remonter à cette date la déplorable idée d'échancrer de plus d'un tiers, en amont, les piles du second rang du pont du Gard en y ajoutant des encorbellements et un parapet ».                    

            Forme et dimensions de cette échancrure :

            Il s'agit d'une interprétation personnelle fondée sur le dessin de Daviler (document recueilli à la Grande expo du pont du Gard, dont l'original se trouverait au Cabinet des estampes de la Bibliothèque Nationale). Nous avons ajouté les indications écrites.

                                                     L'échancrure (de la pile n° 5) est limitée en haut par la boutisse et à droite par les lois de l'équilibre. Les boutisses sont des blocs de 3m de longueur et d'un tiers de mètre carré de section. Les ouvriers qui ont ouvert ces échancrures ont atteint les boutisses sans les sectionner. Elles jouait le rôle de corbeaux qui supportent la masse de la pile au-dessus. La silhouette de l'échancrure était une courbe qui partait de la façade, à gauche, et s'élargissait jusqu'à 1,7m au niveau du tablier du deuxième niveau. Si l'échancrure s'était limitée au tablier, elle n'aurait pas permis le passage d'un homme et d'une bête de somme dans de bonnes conditions. On comprend alors la poursuite du creusement de 3 ou 4 assises vers le bas.

               Les voyageurs disposaient d'une bande de 2,4m environ pour contourner les piles, compte tenu du débordement des piles du premier niveau.
             La technique du creusement des sept échancrures obéissait sans doute aux mêmes exigences, mais leurs dimensions pouvaient varier, leur profondeur dans le premier niveau en particulier. L'échancrure de Daviler qui s'étendait sur 1,7m dans la pile, en occupait 37%. On comprend alors les méfaits qu'elles ont occasionné sur l'équilibre et la solidité de l'ouvrage et la nécessité d'améliorer le système. Celui-ci a pourtant fonctionné pendant quatre siècle, jusqu'en 1702, laissant apparaître quelques faiblesses. Mais le pont du Gard ne s'est pas écroulé.

            Une hypothèse sur le profil de la voie sous échancrures :  

La voie ne pouvait être rectiligne sinon elle aurait coupé les voussoirs des arches du premier niveau et aurait imposé un travail considérable inutile. Elle devait suivre un tracé sinueux à fortes pentes. Des boutes roues, des ornières prévenaient des fausses manœuvres et un parapet s'imposait. On raconte que le dit parapet tombait souvent dans la rivière.

                           Avant le XIVe siècle                                         Du milieu du XIVe à 1702
                 Jusqu'à ce que l'on ait récupéré une partie de             Une échancrure est creusée juste au-dessous
             la couverture dallée, l'aqueduc du pont du Gard a         du bloc de boutisse. Elle s'élargit ensuite jusqu'à
             été un passage pour les piétons. Seuls des gués        atteindre la profondeur de 1,7 m au niveau du tablier,
             submersibles permettaient le franchissement du          profondeur qu'elle conserve jusqu'à la quatrième
             Gardon avec les mulets bâtés.                                   assise au-dessous du tablier du deuxième niveau.
                  Notons la présence d'avant-becs protecteurs               Passage à péage.
             des piles du premier niveau, surmontés d'une
             pyramide à gauche, et l'absence d'arrière-becs
             à droite (c'est une faute que ne commettra pas 
             Pitot en 1747). 

            Les encorbellements (1696 - 1702) :                                       

            A la page 42 de son ouvrage le pont du Gard, écrit en 1926, Émile Espérandieu évoque cette nouvelle phase : « Les États (du Languedoc) se prononcèrent pour l'encorbellement mais ils prescrivirent le rempiétement complet des piles. Il en résultat forcément une diminution de la largeur du chemin, ce qui le rendit impraticable aux charrois. On songea à réparer les arches où beaucoup de voussoirs étaient gravement endommagés ; mais les architectes reculèrent devant la difficulté de l'entreprise. Dans l'impossibilité d'employer  de grands matériaux à la hauteur voulue, l'ingénieur se contenta de boucher, par des moellons très légers, provenant du sédiment de la cuvette , les excavations les plus profondes creusées par les pluies. On n'eut ainsi qu'une maçonnerie mal reliée qui, par la suite, ne servit à rien. Les eaux ne tardèrent pas à se frayer un passage dans les moellons et à aggraver encore l'état des voûtes ».

   

    Reproduction partielle du dessin réalisé, pense-t-on, à la demande de Colbert (fin XVIIe). Les encorbellements n'ayant été construits qu'en 1702, on peut penser que ce dessin était un dessin d'étude qui précédait les travaux.

     La pile 5 est la pile antérieure à la grande arche.

     La flèche indique la position de la silhouette de l'échancrure dessinée par Daviler.

                            

      

                                    De 1696 à 1702

On rempiète les piles du deuxième niveau et on colmate en partie le côté droit de l'échancrure ; l'espace disponible se trouve réduit au point de ne plus permettre la circulation des mulets bâtés et des chariots. On compense alors en construisant des plates-formes en encorbellements munies d'une balustrade. Pour édifier ces encorbellements les maçons appuient leurs échafaudages sur la face supérieure de l'avant-bec, après avoir démonté la pyramide qui le surmonte.

 

            La construction du pont routier (1743 -1747) :                           

            «On raconte, écrit Louis Bascoul (Histoire de St-Privat - 1911), que Jean-Louis  Berton de Crillon, archevêque de Narbonne, retournant d'Avignon à son siège épiscopal, se trouva obligé de séjourner à Remoulins, dans un cabaret, pendant quatre ou cinq jours par suite d'un débordement de la rivière. Dans l'impossibilité de passer avec les siens ... il dut franchir ce dernier (le pont du Gard)  en poursuivant sa route à cheval et en laissant ses bagages derrière lui. dès lors il comprit la nécessité d'établir une voie pour les attelages. Il ne manqua pas de porter ses doléances aux États du Languedoc. Ceux-ci décidèrent, dans l'assemblée tenue le 22 janvier 1743, de construire sur le Gardon un pont de passage pour les voyageurs et pour les voitures et de l'adosser contre l'ancien pont du Gard, du côté de la descente de la rivière. Henri Pitot fut chargé de faire un rapport.

                        Vers le milieu du XVIIIe

     Construction du pont routier entre 1743 et 1747. On colmate tant bien que mal l'échancrure et on ne démonte pas les encorbellements qui, pourtant, n'avaient plus de raison d'être. Pour en empêcher l'accès, on a amoncelé des matériaux entre la pile et la balustrade. Cette situation qui se voulait peut-être provisoire dura plus d'un siècle.
     La chaussée large de 4,5 m était bien délimitée, bordée par un parapet à droite, par des bornes à gauche.
     Le profil longitudinal de la route épouse la forme d'un accent circonflexe, si bien que la partie médiane, au niveau de la pile 5, est située à près d'un mètre au-dessus du plan du tablier du pont du Gard. Pitot construit un arrière-bec surmonté d'une pyramide pour protéger la face gauche de la pile aval.

          La première pierre fut posée le 18 juin 1743. Ce fut la première pierre de l'arrière-bec de la pile la plus proche du bord méridional de la rivière. On scella sous cette pierre une plaque de cuivre sur laquelle était gravée l'inscription commémorative écrite en latin.
            Nous en donnons une traduction proposée par François Garrigues :         

            « En l'an du Seigneur MDCCXLIII, le 22 janvier, le très illustre et très révérend Jean-Louis Berton de Crillon étant archevêque et primat de Narbonne, commandeur de l'ordre royal du Saint-esprit, président des États, les États généraux d'Occitanie décrétèrent que ce pont devait être construit. De fait, le 18 juin, les premières fondations de ce pont furent jetées en présence des très illustres curateurs des édifices publics, les seigneurs François de Villeneuve, évêque de Viviers, Louis de Calvisson, marquis, François Privat de Saint-Rome, légat du tiers ordre des États, en présence bien sûr aussi des seigneurs Jean Antoine de Vidal de Montferrier, doyen des procurateurs généraux de la province et Estienne de Guilleminet, libraire et scribe des États et Henri Pitot, directeur des édifices publics pour la région de Nîmes et de Beaucaire, membre des académies des sciences de Londres et de Paris».

            On construisit le pont routier. On colmata tant bien que mal les échancrures, mais « on se constata d'amonceler entre ces encorbellements et les piles des matériaux destinés à s'opposer à tout passage de ce côté» (Espérandieu). Les encorbellements subsisteront encore une centaine d'années.

            Il faudra attendre 1834, la nomination de Prosper Mérimée au poste d'inspecteur général des monuments historiques et son passage à Nîmes, pour renouveler l'intérêt au pont.
            Une première série de restaurations est confiée à l'architecte nîmois Charles Questel pendant les années 1840 - 1844. Il supprime le vieil escalier d'accès par l'extérieur et le remplace par un escalier en colimaçon, intérieur, intégré dans la pile nord du troisième niveau.

                                                                            

                            De 1855 à 1859

En 1855, l'ingénieur Laisné poursuit et complète les travaux de voirie indispensables à la survie du pont. Le bouchage des échancrures est repris correctement, les encorbellements sont démontés. Laisné aménage un caniveau entre le pont du Gard et le pont Pitot de manière à éviter les infiltrations qui détruisent. On n'a malheureusement pas remonté la pyramide au-dessus des avant-becs. Elles auraient pourtant joué un rôle important lors des crues de 1857, 1890, 1900, 1907, 1958 et 2002. Il conviendrait d'attirer l'attention du nouvel architecte en chef des monuments historiques pour combler cette lacune.


          Une dizaine d'années plus tard, Jean-Charles Laisné, architecte des monuments historiques, règlera les problèmes de la voirie au pont du Gard. Il supprimera les encorbellements, construira un caniveau entre le monument et le pont routier de manière à éviter les infiltrations d'eau nocives à la conservation de l'ouvrage. Il oubliera malheureusement de remonter les pyramides sur les avant-becs. Depuis, personne ne s'y est intéressé.

            En définitive, le pont du Gard est un vieillard qui survit grâce à des prothèses et des soins constamment renouvelés. Il a reçu bien des coups qui l'ont affaibli. Mais, à la décharge de leurs auteurs, ces mauvais coups étaient portés pour améliorer la condition de vie des riverains. Les dégâts causés sont navrants mais peut-être pas condamnables. Aujourd'hui, les responsables du patrimoine devraient réfléchir davantage avant d'agir pour ne pas faire n'importe quoi. Une commission départementale des sites, constituée en majorité de non spécialistes, ne devrait pas suffire pour entreprendre de grands travaux. Malheureusement, une fois que des erreurs sont commises, elles subsistent. La France est un pays où l'on sous-estime la protection des monuments historiques.

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