La technique :
 les Romains et ...

Les limites du système oeil-chorobate
pour l’implantation de l’aqueduc de Nîmes

 

          Le texte qui suit, est extrait d'une communication présentée par Claude Larnac en juin 1999, au colloque de Saint-Etienne (Loire) sur " la dioptre d'Héron d'Alexandrie". 
                          

 

La dioptre est une sorte de théodolite de l'Antiquité.
La dioptre est le traité que lui consacre Héron d'Alexandrie, pour décrire la construction et les utilisations de cet instrument qu'il se vante d'avoir amélioré.

 


         Idée directrice
.
           La conception, l’implantation et la construction d’un aqueduc romain représentaient un travail considérable, coûteux, porteur d’un certain prestige dont le succès devait être certain.
           Les pentes de l’aqueduc de Nîmes, d’une extrême faiblesse ne pouvaient s'apprécier à l'aide d'appareils rudimentaires, fonctionnant sans optique.
           La méthode des "visées répétées" pouvait atténuer les risques d'erreurs mais pas donner la certitude d'une précision suffisante.

           Dans ce qui suit nous évoquerons successivement :

     I - La description du chorobate donnée par Vitruve.
    II - Les utilisations présumées du chorobate.
       1) -
Le chorobate instrument de visée.
           a) Eléments constitutifs du système oeil-chorobate.
           b) Les causes d'erreur.
           c) Les éventuelles possibilités d'amélioration des performances.
           d) Les pentes des quatorze principaux tronçons de l'aqueduc de Nîmes.
           e) Confrontation avec l'expérience.
           f) Premières conclusions.
           g) Note sur les événements répétés.
       2) - Le chorobate servant à mesurer les dénivellations.
           a)Le chorobate ne serait pas un instrument de visée.
           b)Son utilisation en tant qu'instrument de mesure des pentes.
           c) Autres conclusions.
   III - Conclusion relative à l'emploi du chorobate pour l'implantation de l'aqueduc de Nîmes.

 

     I – Description du chorobate                                   

          
Vitruve, le seul architecte antique qui ait décrit le chorobate, le définit ainsi : 
           « Chorobates autem est regula longa circiter pedum uiginti.. Ea habet ancones in capitibus extremis aequali modo perfectos inque regulae capitibus ad norman coagmentatos, et inter regulam et  ancones a cardinibus conpacta transuersaria  quae habent lineas ad perpendicula in singulis partibus singula, quae, cum regula est conlocata eaque tangent aeque ac pariter lineas descriptionis, indicant libratam conlocationem.
           Sin autem uentus interpellauerit et motionibus linae   non potuerint certam significationem facere, tune habeat in superiore parte canalem longum pedes V, latum digitum, altum sesqualiter aqua infundatur,  et si aequaliter aqua canalis summa labra tanget,scetur esse libratum. Ita eo chorobate cum perlibratum ita fuerit, scietur quantum habuerit fastigii. »

            « Le chorobate est une règle longue d’environ vingt  pieds. A ses extrémités, cette règle a des pièces transversales parfaitement identiques et assemblées en équerre aux bouts de la règle ; entre la règle et les pièces, fixées par des tenons, des traverses qui portent des lignes exactement tracées en perpendiculaire, et, suspendus, un de chaque côté, à la règle, des fils à plomb qui, lorsque la règle est en place, s’appliqueront d’une manière rigoureusement identique aux lignes tracées, indiquant que la position est horizontale.
           Mais si le vent vient troubler l’opération et, en les agitant, empêche les lignes de donner une indication précise, alors on doit avoir sur la partie supérieure de l’instrument une gouttière longue de cinq pieds, large d’un doigt, profonde d’un doigt et demi, y verser de l’eau, et, si l’eau touche uniformément les bords extérieurs de la gouttière, on saura que l’on est de niveau. Ainsi, à l’aide du chorobate, quand on aura bien le niveau, on connaîtra l’importance de l’inclinaison. » 

     II - Les représentations du chorobate                    

 
          La plupart des auteurs le présentent sous la forme d’un plateau de 20 pieds de long (6 m) creusé d’un canal de 5 pieds (1,5 m), large d’un doigt (1,85 cm) et creux d‘un doigt et demi (2,8 cm). On y verse de l’eau « et, si l’eau touche uniformément les bords extérieurs de la gouttière, on saura que l’on est de niveau. Ainsi, à l’aide du chorobate, quand on aura bien le niveau, on connaîtra l’importance de l’inclinaison ».

Là s’arrête la description. Vitruve faisait état d’un dessin en fin de livre mais ce dessin manque, et les auteurs l’ont interprété selon leur imagination, d’où les deux types d’utilisation présumées,pour le plus grand nombre, l’instrument était un instrument de visée portant des pinnules,
            Pour d’autres, dont Louis Callebat, traducteur de Vitruve, « C’est abusivement que figurent dans les reconstitutions comme celles de Galiani ou de F. Kretzschmer , des repères de visée auxquels Vitruve ne fait aucune allusion et que le procédé utilisé rendait sans objet  (L. Callebat, p.140).

             

       Nous nous proposons d’envisager les deux conceptions, les deux modes d’emplois appliqués à l’aqueduc de Nîmes et nous livrerons nos premières conclusions.

           1 – le chorobate, instrument de visée                          
             
Dans ce cas, des pinnules (trous ou fentes verticales ) fixées selon le grand axe médian du plateau permettraient de procéder à des visées.
                  Quatre 1 fils à plomb associés à des repères gravés sur des traverses faciliteraient une mise en station rapide.

Note 1  Vitruve ne précise pas le nombre de fils à plomb

.              a)  -  Éléments constitutifs
                       L’œil, le bâti, les organes de réglage (gouttière remplie d’eau ou quatre  fils à plomb); système de visée (pinnules)
              b)  - Les causes d’erreurs

                    -  L’œil - Pouvoir séparateur 

                     

               Le fond de l’œil est tapissé de cellules à cônes et de cellules à bâtonnets sur lesquelles se forment les images. Les images diurnes se forment sur les cellules à cônes, sensibles à la couleur, qui transmettent l’information au cerveau. L’expérience montre que l’œil ne peut distinguer deux points à une distance donnée que si ces derniers sont suffisamment rapprochés de manière que leurs images respectives se forment sur deux cônes séparés par un troisième. C’est le pouvoir séparateur maximum au niveau de la tache jaune, la partie la plus sensible de l’œil. Il correspond à un tout petit angle de 1’ (une minute) : c’est encore l’angle sous lequel on voit une distance de 1 mm à 3 m.

 

                                                                                                                             

                Dans les meilleures conditions d’observation diurne, l’œil est incapable de séparer deux points distants de moins de 1 mm à 3 m, soit 1,7 cm à 50 m ou, par extension,  34 cm à 1 km.
                    - Le bâti.
                      
La planéité d’un bâti de 6 m de long ne peut être parfaite. L’imprécision qui en découle dépend du matériau et de son façonnage.

                    - La gouttière d’eau ou la précision des fils à plomb
.
                      Au voisinage du bord supérieur de la gouttière et sous l’effet de la tension superficielle, la surface de l’eau prend la forme d’un ménisque d’autant plus important que la largeur de la gorge est réduite. La partie du ménisque à prendre en compte est celle qui limite la gouttière dans le sens de la longueur. Elle peut être de l’ordre de 0,5 à 1 mm.
                      Le ménisque engendre une incertitude de 0,5 mm à 1 mm au moins sur 1,5 m – 0,75 mm en moyenne), soit 2,5 cm sur 50 m ou , par extension, 50 cm sur 1 km.

                    - La mise en station du chorobate par les fils à plomb
 
                      Les fils à plomb sont probablement réglés au départ à partir du niveau de l’eau dans la gouttière                    – Dans ce cas, la mise en station aurait été sujette à une incertitude qui dépendrait d’au moins trois facteurs :
              -            la difficulté d’apprécier l’importance du ménisque (étape précédente)
              -            la faible distance des repères à la règle 1
              -            l’imprécision liée à la difficulté de percevoir la coïncidence des fils et des repères.                                                                                                           

Note1- Selon les auteurs, les traverses sont parallèles à la règle (Perrault) ou  obliques sous forme de jambes de force (Newton)

                    -  
Incertitude liée aux pinnules
                       Vitruve n’évoquant pas les pinnules (trous ou fentes verticales au travers desquelles on pratiquerait les visées) on nous présente plusieurs schémas. Pour les uns, les pinnules se situent en bout de règle, pour d’autres en bout de canal – et là est remise en cause la longueur du canal.

                        L’objet de notre communication n’étant pas le rejet du chorobate, mais une réflexion sur les services qu’il a pu rendre pour implanter l’aqueduc de Nîmes, nous n’évoquerons que le cas le plus favorable aux panégyristes de l’appareil, celui où les pinnules seraient fixées en bout de règle. Dans cette éventualité subsistent des causes d’erreurs -difficiles à quantifier- liées à l’importance des pinnules : trop larges, elles  induisent des erreurs de parallaxe, trop fines elles génèrent des phénomènes de diffraction.

                        Compte tenu des diverses causes d’imprécision évoquées ci-dessus, on peut affecter au système œil-chorobate une incertitude dans les visées qui serait supérieure à 4 cm à 50 m, soit par extension, au moins 85 cm à 1 km, imprécision largement supérieure à la pente moyenne de l’aqueduc qui est de l’ordre  de 1,2 cm sur 50 m (ou 24 cm/km).

               c) -  Possibilités d’améliorer ces performances ?                      

                    a) Le pouvoir séparateur de l’œil :
                       
Selon les théories modernes de l’optique physique, le pouvoir séparateur de l’œil α (exprimé en radian) dépend de la longueur d’onde λ de la lumière et du diamètre D de l’objectif - dans le cas présent, celui de la pupille de l’œil. :
                                                    α = 1,22 λ/ D
( λ = longueur d’onde moyenne 0,55 μ et D, le diamètre de la pupille : 2 mm ).
soit, en unités cohérentes        α = 1,22 x 0,00055/2
                                                    α = 3, 35.10-4 Rd, angle sous lequel on voit 1 mm à 3m ou     1,7 cm à 50 m ou par extension 34 cm à 1 km.

                       Les résultats théoriques sont du même ordre de grandeur que ceux évoqués au paragraphe précédent.
                       
                      Les Romains pouvaient-ils améliorer le pouvoir séparateur de l’œil : diminuer λ et/ou  augmenter D ?
                    
                     
Diminuer λ ?
                      Ils ne pouvaient agir sur la longueur d’onde λ des radiations lumineuses. λ devait être considérée comme une constante.   
                      Augmenter D ?
                      Peut-être, mais si peu ! Le diamètre de la pupille dépend de la luminosité. Lorsque la luminosité diminue, D augmente, mais les contrastes sont moins nets.
                      Les observateurs romains devaient donc être recrutés parmi les gens jeunes possédant une excellente vue.                                                                   

                    b) la réduction du ménisque ? 
                       
L’étroitesse du canal générait un ménisque important. Les détergents réduisent la tension superficielle et les Gaulois connaissaient des détergents minéraux. Peut-être en ont-ils utilisés ? 

Les performances du système œil-chorobate ne pouvaient dépasser la précision de 4 à 4,5 cm sur 50 m, soit 85 cm sur 1 km.

           d - Relevé des pentes des 14 tronçons de l’aqueduc de Nîmes                  Il convient d’examiner les pentes des 14 tronçons de l’aqueduc de Nîmes. Nous extrayons le tableau suivant des travaux réalisés par M. Martin, Directeur honoraire du département de génie civil– et publiés en page 94 du Pont du Gard et l‘aqueduc de Nîmes – (G. Fabre ; J.L Fiches ; J.-L. Paillet) cité ci-dessus.

tronçons

pente

Nos observations

1

49,64 cm/ km sur 6564,27 m

Nettement inférieur à 85 cm/ km – chorobate inutilisable

2

28,13 cm/km sur 6112,96 m

Le tiers du degré de fiabilité du chorobate –  inutilisable 

3

52,34 cm/km sur 1830,25 m

Inférieur au degré de fiabilité du chorobate – inutilisable

4

1,11 cm/km sur 2882,75 m

73 fois inférieur au degré de fiabilité – Id° (On se situe ici au  voisinage du pont du Gard : 1/10 mm pour 10 m !)

5

99,47 cm/km sur 333,76 m

Légèrement supérieur au  degré de fiabilité du chorobate

6

3,57 cm/km sur 2353,7 m

Chorobate inutilisable

7

41,67 cm/km sur 734,36 m

Id°

8

5,38 cm/km sur 8414,18 m

Id° (1 cm pour 190 m !)

9

46,31 cm/km sur 5092,30 m

Id°

10

8 cm/km sur 7988,86 m

Id°(1 cm pour 125 m)

11

33,11 cm/km sur 4204,06 m

Id°

12

4,67 cm/km sur 1327,37 m

Id°

13

33,23 cm/km sur 1131,57 m

Id°

14

86,21 cm/km sur 550,99 cm

Un peu au-dessus du degré de fiabilité.

Dans les meilleurs des cas, le chorobate ne pouvait être utilisable que sur une longueur de 885 m, soit 1,78 % de l’aqueduc.                                                         


   

Dessin extrait de « L’aqueduc du pont du Gard » 
– p. 18- C. Larnac et F. Garrigue- Presses du Languedoc. 1999

 Le relief étant la contrainte majeure, l’aqueduc ne pouvait se situer qu’à l’intérieur d’une zone (grisée sur le dessin) dont les cotes sont sensiblement comprises entre 70 m et 60m. Pour passer du bassin du Gardon au bassin du Vistre, (étang de Clausonne, voisin de 70 m d’altitude), et afin d’éviter un contournement 1 vers le sud qui aurait entraîné un allongement de l’aqueduc d’une vingtaine de kilomètres ainsi qu’un affaiblissement supplémenatire de la pente,  les Romains ont asséché l’étang et l’ont  contourné en tranchée remblayée par le nord – nord ouest. 

      1- source : J.-L. Fiches – L’aqueduc de Nîmes et le pont du Gard. p. 93 (G. Fabre, J.-L. Fiches, J.-L. Paillet. – C.N.R.S.  1991)

  e - Confrontation avec l’expérience                                          

              Bien des auteurs qualifient de prodigieux, le nivellement à l’aide du chorobate ;    d’autres le justifient par des méthodes basées sur des visées répétées, dont la cultellation, méthodes très critiquables pour des raisons qui sont en marge de ces quelques pages. Retenons seulement deux témoignages :
            Celui de Claude Perrault (académie royale des Sciences), traduisant et corrigeant en 1684, ce qu’écrivait Vitruve :
                « … Enfin l’œil regardant par des trous ou par des fentes ne peut pas bien déterminer le vray point qui doit estre dans le rayon visuel ; en sorte que, voulant niveler, par exemple un arbre éloigné de deux ou trois mille pas, on ne peut estre assuré si c’est le haut, ou le bas, ou le milieu de l’arbre qui doit estre pris pour le vray point de niveau ».

             
Celui MM. Philippe Leveau, Pierre Sillières, Jean-Pierre Valat « Campagnes de la Méditerranée » - page 64 – Hachette – 1993.
                « Considérons rapidement la fiabilité des instruments antiques et leur maniement. Les opérations en terrain accidenté devaient être fort longues comme en témoigne la reprise du tunnel de Bougie (….). Après des visées erronées, les deux galeries de l’aqueduc  se sont croisées sans se rencontrer. La rectification du tracé exige un travail de quatre ans pour 448 m de tunnel (…). En terrain plat, heureusement, les visées sont plus aisées et plus fiables. J.-P. Adam,  en a refait dans des conditions semblables à celles où travaillaient les Romains, avec le chorobate et une perche graduée puis avec des instruments modernes du type du niveau optique. Il a abouti à des erreurs minimes de 4 cm pour trois visées sur une distance de 51,30 m, avec des dénivelés de 3,40 m ».

              f – Première conclusion                                                                           

                   La détermination de l’incertitude (erreur théoriquement maximale) que nous avons estimée à au moins 4 cm pour 50 m, est compatible avec  l’erreur constatée sur le terrain  par Jean-Pierre Adam (4 cm sur 51,3 m). Notre démarche fondée sur des considérations scientifiques est en accord avec les résultats récents obtenus par l’éminent architecte.

             g- Note sur les événements répétés  
                   Afin de répondre à l’argument courant selon lequel  des mesures répétées et du « métier » suffisent à compenser les erreurs systématiques, nous rappelons la formule de Bernoulli, sur la probabilité Pk d’obtenir k réalisations sur des épreuves répétées n fois, dans des conditions identiques, c’est-à-dire de manière que le résultat de chaque épreuve n’influe pas sur ceux des épreuves suivantes.        
                                     
K, Pk, Pk = Cknpkqn-k
p, probabilité relative
q, probabilité complémentaire ; p et q demeurent donc invariables.
n, nombre d’épreuves

La méthode qui repose sur des visées répétées, conduit à une probabilité pouvant prendre toutes les valeurs dans l’intervalle [0,1]. Elle ne garantit donc pas la certitude. Raison suffisante pour ne pas la retenir.

          2 - Le chorobate servant à mesurer les dénivellations
             
a)  le chorobate ne serait pas un instrument de visée                           

                  Vitruve ne donnant aucune méthode d’utilisation du chorobate, certains auteurs dont L. Callebat, estiment que « c’est abusivement que figurent, dans des reconstitutions comme celles de Galiani ou de F. Kretzschmer, des repères de visée auxquels Vitruve ne fait aucune allusion et que le procédé utilisé rendrait sans objet. La préférence que Vitruve accorde au chorobate est peut-être en partie fondée, ainsi que le suggère G. Germain de Montauzan – (Essai …, p. 77 ; Les aqueducs …, p. 166) ; sur le fait que cet instrument dispensait des visées. Cf. Hultsch, s.u. chorobates, R.E., III, 2, 2439-2440 ; aqueducs ..., p.164 sq. ; F.Kretzschmer, la technique romaine, p.12. » (Commentaires de L. Callebat qui suivent la traduction du livre VIII- p.140 et 141, y compris le schéma qui suit).

              b) mesure des pentes

                  « l’opération était sans aucun doute effectuée par déplacements successifs de l’appareil, avec emplois, sous l’une des crosses, de cales étalonnées jusqu’à la remise à niveau ».
                  Si l’on désigne par h1, h2, h3, h4 etc., les différentes épaisseurs ainsi étalonnées, par D la distance entre les points extrêmes du parcours étudié (= N fois la longueur du chorobate), par H la hauteur de dénivellation, la pente moyenne entre les niveaux A et B est donnée par la formule :
                             H/D = ( h1 + h2 + h3 + h4) / D  (cf.  schéma).                                 

               
 Dessin établi à partir des commentaires apportés par Louis Callebat,
 " Vitruve - De l'architecture", Ed. Les Belles Lettres, Paris, 1973, pp. 140-141.

         Cette utilisation du chorobate élimine les erreurs dues au pouvoir séparateur de l’œil, mais en génère d’autres,

                    1°) la difficulté d’obtenir un plateau parfaitement plan,
                    2°) l’impossibilité d’éliminer le ménisque si l’on utilise la gouttière, ou la difficulté d’apprécier l’exacte superposition des fils à plomb aux repères tracés sur les traverses (incertitude évoquée au II-1-b) 
                    3°) la difficulté de régler les positions successives du chorobate, et ce, 165 fois sur un kilomètre !

              c) Application à l’implantation de l’aqueduc de Nîmes                

              Ce mode d’utilisation du chorobate aurait demandé un temps considérable pour implanter l’aqueduc de Nîmes, dont la détermination du dénivelé s’est probablement effectuée, selon les archéologues qui l’ont étudié, le long de grandes voies ou dépressions géologiques ; donc entre Uzès et Nîmes, le long de la vallée de l’Alzon jusqu’à Collias-Argilliers, de la dépression empruntée de nos jours par la D.981 jusqu’au Gardon, la traversée du Gardon (!), le contournement de l’étang de Clausonne, en passant au voisinage de Meynes, puis au travers de la plaine jusqu’à Nîmes. Ce premier repérage réalisé, il convenait d’étudier la topographie du tracé des tronçons intermédiaires au travers de la garrigue, et ce, moyennant des nombreuses interpolations. Travail qui aurait consisté à déplacer le chorobate 15 à 20 000 fois sur une bonne centaine de kilomètres, pendant 4 ou 5 années ou plus ! Avec une incertitude difficile à évaluer mais du même ordre que celle qui résulte de la méthode précédente.

     III – Conclusion

              On peut raisonnablement penser que le chorobate, utilisé sous une forme ou l’autre n’était pas l’instrument de référence fondamental que les Romains auraient employé pour implanter l’aqueduc de Nîmes. Sans doute avaient-ils préféré des moyens simples, pratiques, fiables, indépendants des finesses géométriques, des aléas probabilistes, des subtilités de l’hydraulique qu’ils ne maîtrisaient pas suffisamment, mais combien dangereuses en cas d’échec. N’avaient-ils pas préféré alors des appareils dont le principe repose sur celui des vases communicants, comme le niveau à eau statique par exemple, quitte à vérifier le bon fonctionnement à l’aide de canaux d’essais ?

                                                                   Castillon-du-Gard, le 30 septembre 1999
                                                                                          Claude Larnac

 

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