L'aqueduc  de  Nîmes

II . Comprendre l'aqueduc de Nîmes

 

Questions pour comprendre 
l'aqueduc de Nîmes et le pont du Gard

- De l'eau pour quoi faire ?

- Qu'est-ce qu'un aqueduc ?

- Quelles conditions sont liées à la construction d'un aqueduc ?

- Dans quel contexte historique la construction de l'aqueduc s'est-elle faite ?

- Comment construire un aqueduc ?

     a) Le trajet :

  • Quelles sont les conditions d'un bon fonctionnement ?
  • Comment le tracer ?
  • Comment décider les contournements et franchissements?
  • Comment réaliser une horizontale ?
  • Quels instruments utiliser pour le nivellement ?
  • Quels sont le fonctionnement et les limites des instruments ?                     

     b) La construction :

  • Quels profils pour la canalisation ?
  • Quelle sont les couvertures possibles ?
  • Quels sont les points faibles d'une voûte ?
  • Quels sont les points faibles d'un aqueduc ?
  • Quel pourrait être le fonctionnement d'un aqueduc ?

     c) L'abandon :

  • Quels sont les problèmes posés par l'entretien d'un aqueduc?
  • Qu'est-ce que des concrétions ?

- Le pont du Gard :

  • Quelles sont les conditions de franchissement du Gardon ?
  • Que peut-on voir au pont du Gard ?
  • Quelles agressions a-t-il subit ?
  • Quelles réparations ont été faites ?
  • Quelles réparations et sont à faire ?

- Le castellum :

  • Qu'est-ce que le castellum ?
  • Quelle est sa fonction ?                                                                                 

           Pour qui et pourquoi l'aqueduc de Nîmes ?

          Pour répondre à ces questions nous disposons d'une évidence, d'une date ou du moins d'une période, du point d'arrivée de l'aqueduc et de son débit théorique.

          L'évidence, c'est qu'un aqueduc prend l'eau où elle abonde pour l'amener où il en manque. Ce manque peut avoir bien des raisons en fonction des multiples usages de l'eau : boire, cuisiner, se laver, se baigner, nettoyer, fabriquer, produire de l'énergie, irriguer, lutter contre les incendies et même, simplement, orner.

          La période cernée depuis peu à quarante ans près, ce sont les années 40 à 80 de notre ère : il s'agit bien entendu de la période de construction et de mise en eau. L'aqueduc a ensuite servi plus ou moins normalement durant quelque cent-cinquante ans, puis, plutôt mal que bien, un ou deux siècles de plus.

          Le lieu d'arrivée, "le Castellum" est à l'intérieur des remparts de Nîmes, tels qu'ils existaient depuis une cinquantaine d'années, lors de la construction. De là, l'eau était répartie dans cinq directions, ce qui ne nous en dit pas plus sur son utilisation. Certains experts, de nos jours, sont assez septiques sur l'efficacité de la distribution : les vingt mille mètres cubes théorique par jour étant déjà bien réduits par les pertes  sur les cinquante kilomètres du parcours (et bientôt par les concrétions). Mais il devait bien arriver de l'eau quelque part et ce quelque part était en ville. L'abondance des vestiges d'aqueducs laissés dans tout l'empire par la civilisation romaine ne prête à aucun doute : Rome a diffusé dans tout son empire une civilisation urbaine. Les villes romaines, en Gaule comme en Afrique ou en Orient, pour ne rien dire de Rome même, étaient grandes consommatrices d'eau.                                                                                                                   

          Qui étaient donc ces Nîmois du milieu du premier siècle ?  Ils habitaient une grande ville : six kilomètres de tour de rempart, incluant à la fois colline et piémont. Son autorité s'étendait sur un territoire, entre Cévennes, Rhône et mer, plus vaste que l'actuel département du Gard. Cette population d'origine qu'on appelait les Volques Arécomiques était bien le premier élément, et très certainement le plus nombreux, de la population nîmoise. Ce n'était certes pas une "race". A mesure que l'archéologie progresse, on doute de plus en plus d'une invasion massive et brutale d'un peuple celte qui aurait exterminé ou chassé les anciens occupants. tout donne au contraire à penser qu'il y a eu pénétration plus ou moins lente, parfois conflictuelle peut-être, mais qui n'a pas laissé de traces de destructions massives. Il n'en reste pas moins que cette population ethniquement  mêlée avait adopté la langue des "Volques". Vraisemblablement jusqu'à l'arrivée des Romains, c'étaient eux qui fournissaient le haut de la hiérarchie sociale ; mais c'était une hiérarchie, en tout cas au niveau des richesses, beaucoup moins accentuée qu'ailleurs en Gaule. Les fouilles de l'oppidum voisin de Nages, beaucoup mieux conservé du fait de son abandon, avec ses quartiers de maisons en série, ont même révélé une sorte de société plutôt égalitaire avec des pratiques communautaires.

          La langue de ces Celtes ou "Celtoligures" s'écrivait avec l'alphabet grec. Les Grecs, arrivés là cinq siècles avant les Romains (notamment les phocéens à Marseille) constituaient sûrement un élément de population nîmoise, minoritaire certes, mais actif. Or, curieusement, après la conquête romaine (cent-vingt ans avant Jésus-Christ), le plus notoire apport de population fait par les Romains se trouvera être une colonie de vétérans grecs.

          Quant aux latins, à plus forte raisons aux Romains, ils ne pouvaient être qu'une petite minorité mais parmi les plus proches du pouvoir et partant les plus riches. Ceci fait que non seulement leur rôle a pu être déterminant pour la construction d'équipements comme l'aqueduc, mais leur part même dans leur utilisation a pu être considérable.                                                                         

          Nîmes devait à sa position stratégique, entre l'Italie et l'Espagne conquise à l'occasion des guerres  puniques (contre les Carthaginois, au troisième siècle avant Jésus-Christ), sur la via domitia, une bonne part de la faveur que lui portèrent les tenants du pouvoir à Rome, notamment Auguste et sa famille, faveur dont la contrepartie a dû être  une étroite surveillance et pour beaucoup d'anciens occupants la spoliation d'au moins une partie de leurs biens.

          Au début du deuxième siècle avant notre ère, la cité était déjà fort importante et avait en partie quitté le ou les oppidums qu'elle occupait sur le Mont Cavalier et les collines voisines, pour descendre dans la plaine. Il est vrai que la consommation d'eau devait être alors bien moindre. Mais l'eau n'en avait pas moins assez d'importance pour que les sources soient souvent sacrées, objet de culte. C'était le cas de la fameuse et célébrée "Font de Nîmes", que fleurit l'amandier, lui aussi sacré, et où le culte était rendu au dieu Nemausus, bien avant la construction, au pied de la Tour Magne que les Romains ont rehaussée, d'un Augusteum, sanctuaire dédié au fondateur de l'empire.
          De cet Augusteum, le principal vestige est, ce qu'on appelle aujourd'hui à tort, le Temple de Diane. Celui-ci devait être à la fois : lieu de culte, salle de conférence et bibliothèque (l'ancêtre en somme du tout nouveau Carré d'Art. Celui-là, quelques centaines de mètres plus à l'est, a pris la place de l'ancien forum vis à vis de la "Maison Carrée", toujours debout et pratiquement intacte. Ce sanctuaire dédié aux petits fils d'Auguste, Caius et Lucius César princes de la jeunesse, morts jeunes alors que l'empire leur était promis. Ils avaient beaucoup aimé Nîmes et ils sont devenus pour elle les Gémeaux qui la protégeait du haut de leur signe céleste.

          Depuis longtemps, depuis les origines peut être, le nom d'Agrippa, gendre d'Auguste, est associé aux grands travaux nîmois, non sans raison sans doute. C'est au moins le cas pour les remparts, le Forum, l'Augusteum. Y a-t-il lieu de lui attribuer aussi la paternité des très grands travaux comme l'aqueduc et les arènes ? Les dates excluent assurément qu'il en ait dirigé la réalisation mais rendent possible qu'il ait pu en concevoir l'ensemble.                                                        

          Quant au financement, nous ne savons pratiquement rien. Même l'inscription qui attribue à Auguste les remparts ne certifie pas qu'il en ait assumé la dépense. Tout comme le titre de cité de droit latin avec les avantage afférents surtout pour les notables, l'autorisation d'ériger des fortifications, d'une réelle importance, accordée à une cité était, par elles même,  un don de soi exceptionnel. Ce que nous savons, qui est certain pour les Arènes et probable pour l'aqueduc, c'est que de tels travaux relevaient de ce qu'on appelait l'Evergétisme c'est-à-dire les bonnes oeuvres. Mais il s'agit plutôt d'un "Mécénat", autre nom emprunté à l'entourage d'Auguste et appliqué aux grands travaux.

          Une fois l'aqueduc en service, reste la question : qui consommait l'eau et à quel usage ? Faute d'informations documentaires précises, nous avons quelques certitudes liées à notre connaissance générale du monde romain, corrigée par ce que nous savons des spécificités du monde gallo-romain. L'eau courante dans tous les logements est évidemment exclue. La masse de la population ne bénéficiait que de services collectifs : le nettoiement des rues à l'eau courante, les bornes fontaines où chacun pouvait s'approvisionner. Il y avait aussi les thermes. C'était une institution typique de la civilisation romaine, qui importait autant à la vie sociale qu'à l'hygiène. On s'y rendait quand on avait un moment de libre, souvent pour y bavarder seulement ou lire. On s'y donnait rendez-vous. Reste que l'eau, à toutes les températures, y jouait un grand rôle. Il y avait certainement des thermes dans les divers quartiers de Nîmes, mais jusqu'ici il n'en a pas été trouvé.                 

          L'eau sacrée de Nemausus était-elle réservée, ou du moins préférée, pour certain usages ? L'eau d'Ura, après son circuit de cinquante kilomètres dans la conduite, était-elle tenue pour profane ou gardait-elle quelque chose de sacré ? Ces questions sont pour nous sans réponse. Cependant, pour les usages proprement religieux de l'eau, les ablutions rituelles, les libations, on devait préférer l'eau puisée à la source même.
          Une partie des eaux était distribuée à des particuliers. Elle ne concernait, bien sûr, que les maisons les plus riches. Il n'est même pas à exclure que certaines aient possédé des thermes privés.

          Nous savons, par des vestiges situés non loin du Pont du Gard, entre Arles et les Alpilles, à Barbegal proche de Montmajour, que les aqueducs pouvaient avoir une utilisation industrielle et alimenter, notamment, des moulins. Mais toute l'eau qui, finalement,  était passée, était acheminée jusqu'au Castellum. Les usages industriels, en ville, devaient être trop limités par les écoulements de chacune des conduites, et être peu importants.

          Reste enfin un usage et des destinataires dont nous n'avons pas encore parlé : l'irrigation. Quelques plantations urbaines ont certainement  bénéficié de l'aqueduc. Il n'est pas exclu qu'en aval de la ville les eaux usées aient été réemployées sous forme d'épandage. Mais qu'en restait-il ? Ce qui est certain, et nous en avons un témoignage visible sous forme de concrétions sur de nombreuses parties de l'aqueduc, c'est qu'un temps est venu ou l'aqueduc, mal surveillé sans doute, a été abondamment piraté pour des usages agricoles. Il y a même certainement eu une époque, après les invasions, où l'eau n"arrivant plus à Nîmes et continuant à couler au début de la canalisation, les agriculteurs, en amont du Pont du Gard, ont pu vraiment la considérer comme leur.                                           

          Que savons-nous des habitants de ces campagnes, vivant aux environs de la ligne de niveau soixante mètre, entre Ucetta (Uzès) et la Colonia Augusta Nemausensis ? Depuis quelques temps on en sait un peu plus, grâce, d'une part, au cadastre d'Orange, tables de marbre à usage judiciaire, couvrant les deux rives du Rhône et sur la droite jusqu'à Nîmes et d'autre part à la prospection photographique. L'existence pratiquement systématique d'une "centuriation", parcellaire établi par carrés d'environ 710 mètres de côté, ne laisse aucun doute sur la modernisation rurale qui a accompagné ou suivi de peu la conquête romaine et qui n'a pas seulement modifié le paysage mais certainement aussi transféré abondamment la propriété.
          La population de nos campagnes n'était donc pas moins mêlée que celle de la grande ville, en se souvenant qu'à l'époque les immigrants, venus dans les bagages d'une armée conquérante, étaient souvent les plus forts : le sort des Volques des terroirs de Saint-Maximin, de Vers ou de Remoulins n'a pas dû être différent de celui des compatriotes de Virgile, Gaulois d'Italie du Nord, en partie dépossédés au profit des vétérans des armées qui ont instauré l'empire. L'armée, quand elle avait à rétablir l'ordre, devait prendre plus souvent parti pour ses anciens. Ce qui ne veut pas dire que la population antérieure ait disparu ou cessé de vivre de la terre, mais qu'elle l'a fait plus pauvrement, du moins au début.

          On peut dire qu'il y a eu récemment une importante évolution de nos connaissances sur Nîmes et sa région au temps de la construction et de l'utilisation de l'aqueduc. On ne pourrait, aujourd'hui, se demander, avec Jean-Jacques Rousseau, comment les Romains ont pu réaliser semblable ouvrage dans un pareil désert. Indiscutablement, l'empreinte romaine est forte, et pas seulement sous l'aspect monumental. Mais elle s'est exercée dans un pays déjà peuplé, urbanisé, civilisé et déjà entré dans l'histoire. Elle s'est accompagnée d'une sorte d'internationalisation des moeurs plus que d'une romanisation. Elle est intervenue dans un pays pour lequel ni l'urbanisation, ni les techniques avancées de l'artisanat et de l'exploitation rurale n'étaient des nouveautés. Elle a accéléré son évolution, l'entraînant à jouer un rôle moteur dans l'empire.

 

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